Clairière

Peinture murale intégrée à l’architecture
Triangle des Pervenches, Carouge
réalisation du bureau fesselet krampulz architectes
Fonds de décoration de la Ville de Carouge
émail sur béton
14 x 6 x 7 m (environ)

Travail réalisé avec la collaboration de:
Pascal Buri, Marc Oberson et Patrick Pizzinato
Images par Aurélien Bergot


« Un balcon en forêt »

Cachée, la « clairière » de Thomas Maisonnasse, titre de l’installation du plasticien, se découvre avec étonnement : une fois pénétré dans le nouveau bâtiment baptisé «Triangle des Pervenches », abritant des activités de la Commune de Carouge (parascolaire, restaurant, archives, locaux pour société carougeoises et de musique), le visiteur n’aperçoit qu’une partie de l’œuvre. C’est que l’artiste veille au grain et ménage la surprise : il a conçu pour les utilisateurs une œuvre dans l’œuvre, un refuge fait uniquement de peinture blanche qui se découvre et ne prend forme que graduellement sur les hautes parois de béton brut. 

Rien ne se laisse dévoiler dans sa totalité, du moins au début et comme dans un parcours initiatique, il faut idéalement commencer au commencement et, dans ce cas, descendre.

Tout s’ébauche au sous-sol, où l’œuvre prend naissance : à proximité d’un patio éclairé par de la lumière naturelle, de grandes et denses taches blanches semblent répondre à la lumière du soleil et dessinent d’étranges motifs, évoquant à la fois le camouflage et la forêt : de grandes feuilles se dessinent , ce sont là les premiers plans de la photographie d’origine utilisée par l’artiste.

Ce qu’on découvre reste cependant encore diffus, à la frontière entre figuration et symbole, et excite l’imagination. La grande trame esquissée par l’artiste opère plus par suggestion que description. Il a comme projeté sur les murs une une immense image de forêt en négatif : l’on retrouve la préocuppation de l’artiste pour l’ombre, traitée ici en négatif. Ce qui est peint en blanc est la lumière et le béton laissé en réserve l’ombre, le feuillage.

Si, en bas, tout n’est encore que terre et densité, une fois remontées les marches, la peinture murale prend forme d’elle-même, pour mieux se déployer en spirale, autour de l’axe de l’escalier, imitant la croissance d’un arbre. Le noyau vide autour duquel tourne l’escalier évoque la présence du tronc d’arbre plein. L’artiste a utilisé cette cage, un haut volume aveugle, puit de lumière sondé par un seul oculus au zénith, comme axe de son oeuvre ; c’est n’est qu’en s’élevant que se découvrent les formes qui s’ouvrent soudainement du rez vers les deux étages supérieurs, comme aspirés vers la seule échappatoire, le ciel.

A l’ascension du corps répond alors le regard qui se lève : l’œuvre vient habiter presque toutes les facettes des murs, comme poussée par une énergie vitale. Les murs de béton brut sont presque oubliés, ils se dématérialisemt sous l’effet de miroitement des taches blanches irrégulières, qui font fi des grandes droites et des angles de l’architecture ; au contraire, cette grande forêt blanche aux formes organiques amène douceur et poésie. On se retrouve dans le bâtiment comme à l’abri à l’ombre des feuillages.

Pour admirer au mieux cette composition, il faut s’arrêter et contempler aux premier et deuxième étages, qui servent de balcon ou de banc, comme pour la contemplation du paysage lors d’une balade. C’est là que le regard embrasse l’imposante masse qui prend des allures de gravure dans laquelle on serait immergé.

À cet effet d’enveloppement s’ajoute le frémissement des centaines de taches de peinture et la multiplication des points de vue, dans un système tournoyant sur lui-même. Devant l’impossibilité d’embrasser la totalité de l’installation d’un seul regard, le spectateur, tel un enfant grimpant aux arbres, à la recherche peut-être d’une cabane, a été poussé par un irrésistible mouvement ascensionnel. C’est le regard qui mène la danse.

Yves Christen

 

Tout ce qui se voit sous le soleil (Hiroshima),2007